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Sleeping Giants : effets pervers et cercle vicieux des appels au boycott

Le mouvement activiste en ligne Sleeping Giants, qui vise à tarir les sources de revenus publicitaires de médias qualifiés d’extrême-droite en lançant des appels publics au boycott en direction des annonceurs, a fait beaucoup de buzz ces derniers mois en France.

Pourtant, cette forme de militantisme 2.0 est une formule perdant-perdant pour les médias visés (c’est l’objectif), mais aussi et surtout pour les marques qui s’associent aux appels au boycott.

Sans même entrer dans les débats philosophiques sur le bien-fondé de l’action des Sleeping Giants, contestée aussi bien à droite qu’à gauche au nom de la liberté d’expression et de la presse (à l’image des Corsaires de France, mouvement né en réaction aux Sleeping Giants), les conséquences des opérations de boycott initiées par le mouvement activiste originaire des Etats-Unis, sont négatives (à la marge) pour les médias visés, et catastrophiques pour les entreprises qui prêtent leur image à cette foire d’empoigne numérique.

Pour les médias attaqués, des impacts variables

En ce qui concerne les médias visés par les Sleeping Giants, l’impact économique des opérations de boycott est très variable. Certains médias, clairement identifiés depuis des décennies comme partie intégrante de la mouvance d’extrême-droite, à l’image de Rivarol, ont perdu la quasi-totalité de leurs revenus publicitaires… mais comme ils dépendent essentiellement des revenus tirés de leurs abonnements, cela ne devrait pas remettre en cause leur existence.

D’autres médias, plus importants, comme le magazine conservateur Valeurs Actuelles (dont la ligne éditoriale se situe à la croisée des chemins entre Les Républicains et le Rassemblement National), ont perdu le contrat les liant avec leur régie publicitaire sous l’impact de l’activisme des Sleeping Giants.

Si le magazine du groupe Valmonde a dû réinventer son modèle publicitaire, il a également largement bénéficié du buzz généré par les appels au boycott. Ces derniers mois son audience a augmenté et s’est rajeunie et le magazine est mécaniquement devenu beaucoup plus attrayant pour de nombreux autres annonceurs. 

Le même constat s’applique à CNews, la chaîne d’information du groupe Canal+ dont certains chroniqueurs sont marqués à droite mais qu’il serait abusif de positionner comme les autres médias visés sur le spectre partisan. CNews a certes perdu des annonceurs au gré des polémiques et des appels au boycott, mais vend ses publicités beaucoup plus chères grâce à l’explosion de ses audiences.

Si les Sleeping Giants revendiquent -50% d’annonceurs lors des émissions politiques de prime time suite à ses interventions contre Eric Zemmour, la réalité est à nuancer. CNews diffuse certes moins de publicités que par le passé (un choix marketing selon la chaîne qui masque peut-être l’efficacité des actions des Sleeping Giants), mais les prix unitaires ont fortement augmenté. A tel point que les revenus publicitaires de CNews ont connu une croissance de 40% entre 2020 et 2021.

Un risque réputationnel accru pour les entreprises boycotteuses

Paradoxalement, ce sont les entreprises qui répondent favorablement aux appels au boycott des Sleeping Giants qui se sont retrouvées le plus impactées par les opérations de communication des activistes en ligne. Interpellées sur Twitter par les Sleeping Giants, un certain nombre d’annonceurs ont annulé leurs budgets publicitaires sur les médias ciblés et en payent pour certains encore aujourd’hui les conséquences.

Qu’il s’agisse d’un effet de mode, de la peur du « bad buzz », ou d’une déconnexion de certaines élites dirigeantes, toujours est-il que de nombreux services de communication se sont empressés de répondre positivement aux injonctions des Sleeping Giants. Ils ont annoncé sur Twitter, avec tambours et trompettes, leur choix du boycott et leur rejet de certains médias, comme CNews, qu’une part non-négligeable de leur clientèle apprécie.

L’exemple de Décathlon est révélateur du gouffre qui sépare les états-majors de certaines grandes marques, des consommateurs aux quatre coins de l’Hexagone. A l’approche des fêtes de fin d’année 2020, Décathlon avait annoncé, suite à des interpellations des Sleeping Giants, le boycott des antennes de CNews lors de l’émission Face à l’Actualité, dont Eric Zemmour était l’un des chroniqueurs. Une annonce qui avait immédiatement déclenché l’ire d’une partie de la classe politique française, notamment à droite, et des appels au boycott de Décathlon, qui perdurent encore aujourd’hui.

Voulant s’éviter une polémique, Décathlon s’est retrouvé au beau milieu de l’une des fractures les plus conflictuelles de la société française. Car les opérations menées par les Sleeping Giants sont par nature segmentantes et clivantes.

Le meilleur moyen de se mettre à dos, sans gains substantiels, une partie significative de sa clientèle ! Une évidence, a posteriori, mais la chaîne de magasins de sport n’est pas la seule à être tombée dans ce piège, même si elle fait peut-être face aux conséquences les plus durables.

C’est ce qui explique en tout cas la frilosité grandissante des annonceurs à associer leur image avec des mouvements comme les Sleeping Giants. Si cela a pu apparaître comme une opportunité de communication au sortir d’une année 2020 marquée par la crise sanitaire, puis les mouvements citoyens globaux comme Black Lives Matter, les campagnes de boycott des marques sont rapidement en train de redevenir ce qu’elles ont toujours été pour les marques : du matériel radioactif.

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